Si ce concert était annoncé comme l'intégrale des "Solos pour orchestre" de Dusapin, dont je connaissais déjà sur disque les numéros 2 et 3, je ne m'attendais pas à ce qu'ils constituent un cycle, désormais complet, créé pas à pas, par des commandes successives d'oeuvres pour orchestre, entre 1992 et 2009, permettant à Pascal Dusapin de créer du grand format orchestral impossible à mettre en oeuvre autrement.
L'ensemble est ... monumental. Ce ne sont pas les mouvements successifs d'une sorte de symphonie, mais bien des morceaux indépendants (on applaudit entre chaque, et les musiciens se repositionnent de l'un à l'autre) ; de plus, la longue période de composition implique des évolutions d'esthétique entre le 1 et le 7. Mais une réflexion commune les relie, de "forme" dit-il, ou d'allure : comment faire avancer un discours musical pour orchestre. Vivement le CD (double - on frôle les 100 minutes), qui devrait voir le jour, Dusapin étant fort bien publié, et permettra de rentrer plus dans les détails d'une partition impressionnante, et d'ambition assez rare - je ne vois guère que "Les Espaces Acoustiques" de Grisey, dans le genre.
Go
Faisant référence au "Allons-y" anglais mais aussi au jeu asiatique où la réflexion la plus poussée découle d'un matériel particulièrement simple, cette pièce inaugurale est sans doute la plus mélodique de toutes (on ira de l'horizontal au vertical). Seule pièce avec un vrai solo, de violon, guère convaincant. Puis on repart, dans une matière profonde, par moment tourbillonnante, où les percussions s'amoncellent, en une sorte d'artisanat furieux (mais rien de boulezien). Le final éclaircit le discours vers les aigus, ce qui est une sorte de constante du cycle, comme un "à suivre".
Extenso
Dans ce type de musique, l'écoute en concert transcende le disque. Je redécouvre ce début poignant aux cordes, très "Métaboles", qui enfle peu à peu, se charge de bruits, pour atteindre des climats beaucoup plus grondants, éruptifs, menaçants, Varèsiens, puis changeant encore, toujours lents, fascinés par les mystères de l'orchestre, plongeant dans des lumières aux échos mystiques, à la Scelci.
Apex
Dusapin est aussi un excellent présentateur de sa propre musique. Il en donnne des explications qui n'en épuisent pas les mystères, mais donnent des pistes imagées ; "Au début, l'orchestre apparait comme engourdi. Il est écrasé, tassé par des masses harmoniques sombres qui offrent à l'auditeur la sensation de purs volumes de timbres mélés à la clarté d'accords plus définis. [ ... ] La forme avance pourtant par contractions et spasmes. Oui, ce sont aussi des convulsions, précisément des apex. L'orchestre est parfois feuilleté de rythmes incisifs, soudainement obscurci par des agrégats harmoniques écrasants". A part ça, je n'ai pas vraiment accroché à cette forme-là.
Clam
Là aussi, les explications semblent à la fois claires et mystérieuses, qui parlent de "cloquage", où "la matière musicale se détache de sa surface harmonique telle une bulle". Il est question de couches superposées, d'éléments cachés qui surgissent à la surface. J'y entends un lent bouillonnement, une matière parcourue par des vagues discordantes qui la pétrissent en plusieurs directions qui se contrarient les unes les autres. C'est tourmenté, mais pas convulsif. Bourbeux. Une tourbe profonde et obscure à la surface de laquelle flamboient des couleurs fugitives, issues des courants puissants et enfouis que l'on devine à l'oeuvre.
Exeo
"L'orchestre claque fortissimo en se rétractant sur les registres aigus et graves, désignant subitement un espace harmonique creux, créant du même coup une cavité sonore et les contours d'un nouveau territoire". Cet espace est fascinant, la tension entre les deux pôles extraordinaire, d'une intensité dramatique et esthétique rare. Et puis cet espace se remplit, par des processus divers et peu analysables, les lignes semblent surgir sans origine, et engendrent une complexité qui me fait penser ... à du Xenakis romantique ; cette image, a priori incongrue, est soudain validée quand je découvre la dédicace : "à la mémore de Iannis Xenakis". On en trouve aussi l'aspect architectural. "L'orchestre est traité d'un seul bloc. Dans la masse. Avec force. Il n'y a qu'une seule direction !". Autre caractéristique de cette pièce, c'est la seule du cycle où il n'y a pas de percussions. Cela n'empêche pas l'énergie (essentiellement potentielle) d'y être suffocante.
Reverso
C'est le plus long des solos, mais aussi le seul écrit en mouvements enchainés, si bien que sa longueur ne se remarque guère. "Quatre panneaux de temps articulés et repliables, comme les ailes d'un improbable oiseau". Je n'ai guère de souvenirs précis.
Uncut
En création ce soir, la conclusion. C'est du brutal. Si "Go" était plutôt mélodique, ici on est dans les accords martelés. Même si on commence par une fanfare de cuivres. La masse orchestrale menace de nous écraser. Après pareil déferlement, on comprend Pascal Rophé qui, malgré les ovations du public, s'excuse de ne pas avoir de bis à proposer, son Orchestre philarmonique de Liège Wallonie-Bruxelles devant être proprement carbonisé ...