lundi 25 septembre 2023

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce (Grande Halle de la Villette - 31 Août 2023)

"Hymne au soleil" est un album solaire, moelleux, et confortable, et ce concert poursuit dans la même veine, le bonheur d'une fusion réussie entre lounge, funk, jazz ...

Ce sont presque les mêmes musiciens sur scène qu'en studio : à la batterie, Philippe Gleizes, beaucoup plus économe que dans Band of Dogs par exemple, surtout qu'il est accompagné de Fabe Beaurel Bambi aux percussions ; à la basse, Sylvain Daniel, et à l'orgue Arnaud Roulin (qui était déjà, comme Philippe Gleizes, aux cotés de Laurent Bardainne il y a 15 ans ...).

Mais le maître essentiel de cette formation, c'est Laurent Bardainne, qui lance les mélodies, puis s'envole dans des explorations douces ou énergiques mais toujours captivantes. Il en est tout essoufflé quand il essaie de parler au public !

Enfin, pour compléter, il y a deux choristes, Laetitia Ndiaye et Sarah Charles, mais de la salle on ne les entend quasiment pas ! (sur la vidéo du concert,il n'y a pas ce souci). Cela ne sera réparé qu'au début de "Oiseau", on a du coup pu bénéficier de leurs "Oh Yeah", ouf !

Musique très agréable, mais qui peut lasser au bout d'un moment. Bardainne rompt opportunément la monotonie par des invités, et en premier, Jeanne Added ! Mais si elle souffre moins que les choristes (mais quand même un peu) du problème de balance, c'est sans doute le choix de la reprise, "I Love You" de Billie Eilish, qui ne m'emballe pas (je préfère fortement les "I Love You" de Added elle-même dans "Lydia" ...). Autrement plus intéressante est un peu plus tard la reprise (à la demande de Added, précise Bardainne) d'une chanson de Poni Hoax, "Everything Is Real", pour laquelle l'orchestre change profondément de son (facile quand on a des talents de cet acabit sur scène !).

Et cet impeccable voyage se termine par "Oiseau", avec Bertrand Belin, et Jeanne Added en choriste de luxe, et c'est parfait.

Ailleurs : le concert en vidéo

Ce n'était que la première partie du concert du soir, mais je n'ai assisté qu'au début de la deuxième partie, où Mulatu Astatké, entouré d'un excellent petit big band, joue une musique que je ne connais pas du tout, et la ponctue de solos qui me semblent interminables. Je préfère finalement m'arrêter là.

vendredi 19 mai 2023

Alexandra Grimal, Joëlle Léandre (Le Triton - 13 Mai 2023)

Voici deux musiciennes que j'ai souvent vu improviser, mais jamais ensemble, et qui ont des approches assez différentes de cet exercice.

Pour Joëlle Léandre, c'est une pratique très habituelle - et parfois, c'est un peu la routine. Elle possède dans son répertoire mental un ensemble d'idées de départ qui peuvent toujours servir à allumer le feu, s'il veut bien prendre. Drone, déclarations bougonnes, jeu percussif, archer tenu à l'envers, c'est solide, mais pas toujours inédit.

Pour Alexandra Grimal, le danger n'est pas la redite, mais plutôt le silence. Quand elle n'a rien à dire, elle a tendance à se taire, et attend l'occasion ou l'inspiration. De fait, elle bouscule peu Léandre, qui déroule ses paysages habituels, et elle s'y place comme elle peut, complémentant un drone, proposant une cascade mélodique, variant entre ses deux saxophones.

Finalement, le moment le plus intéressant sera vers la fin, quand Grimal passe à la voix, ponctuant une cantilène au soprano par des interjections "I ... accept ... silence". 

Et puis, comme Léandre qui avait passé tout l'après-midi à l'IRCAM est fatiguée, et qu'il fait de plus en plus chaud sur la scène, et qu'elles ont rempli le quota d'une heure, c'est la fin.


alexandra grimal, joëlle léandre

mardi 9 mai 2023

Louis Sclavis Quartet - Les cadences du monde (Le Triton - 6 Mai 2023)

J'étais passé, je crois bien, totalement à coté de cet album "Les cadences du monde", inspiré du recueil de photos "L’Usure du monde“ de Frédéric Lecloux, lui-même reprenant le périple relaté dans "L'usage du monde" par Nicolas Bouvier.

La formation est gentiment aventureuse, avec d'un coté Louis Sclavis alternant entre clarinette et saxophone, de l'autre le percussionniste Keyvan Chemirani, essentiellement au zarb et parfois au bendir, et au milieu, deux contrebassistes, Anna Luis et Bruno Ducret, qui eux aussi alternent, entre pizzicati rythmiques de Jazz et jeu à l'archet plus mélodique.

Cela fait finalement pas mal de possibilités, et elles sont toutes explorées lors des improvisations en duos ou en trios (les solos proprement dits sont rares), qui émaillent les compositions par ailleurs très écrites (avec suivi sur partition).

Bien sur, on voyage, vu le concept de départ, et on louvoie entre le monde du Jazz, de la World, du classique (auquel se rattache plutôt Anna Luis). Je ne suis pas emporté par un torrent d'émotions, mais c'est un concert fortement agréable.


les cadences du monde

lundi 17 avril 2023

Schoenberg Berg Boulez (Cité de la Musique - 16 Avril 2023)

Arnold Schoenberg - Musique d'accompagnement pour une scène de film

Gentille pièce apéritive, qui utilise du dodécaphonisme pour évoquer des ambiances de "danger menaçant, angoisse, catastrophe". Trop facile. 

Alban Berg / Emilio Pomàrico - Altenberg-Lieder

Ces 5 courtes pièces écrites à partir de cartes postales envoyées par Peter Altenberg sont ici transcrites pour petit ensemble (genre, l'EIC, donc), par Emilio Pomàrico. Je ne les connais pas suffisamment pour commenter la transcription - mais le petit moteur rythmique de la première page est très bien rendu.

Pierre Boulez - Improvisations sur Mallarmé I et II

L'Ensemble Intercontemporain, dirigé par Matthias Pintscher, avec Yeree Suh en cantatrice. Impeccable, dans le genre rien à dire. Sur-titrages très efficaces.

EIC, Matthias Pintscher, Yeree Suh


Pierre Boulez - Dérive 2

Chaque écoute de cette longue pièce de 45 minutes est pour moi différente : d'un ennui assez profond à la redécouverte enthousiaste. Ce soir, c'est entre les deux. La rivière toute vibrante me semble quand même assez uniforme, mais sans être monotone, et dans les soli de la deuxième partie, je n'entends vraiment que celui de violoncelle. Agréable, mais quand même un peu longuet.

Ailleurs : Bruno Serrou, Patrick Jézéquel, Jérémie Bigorie

dimanche 12 mars 2023

Rising Stars - Vanessa Porter, Daniel Mudrack - Folie à deux (Amphithéâtre de la Cité - 8 Mars 2023)

Voilà un programme fort original, concocté par la percussionniste Vanessa Porter, musicienne mais aussi performeuse, accompagné par Daniel Mudrack aux claviers (et à la batterie) ; elle choisit des pièces contemporaines, mais en les replaçant dans un contexte lui permettant de raconter une histoire de "folie à deux", ce phénomène psychologique où une personne souffrant de troubles mentaux entraîne une personne proche dans son délire. Ce programme a fait l'objet d'un album, mais qui ne propose pas exactement les mêmes pièces, ni le même ordre.

Vanessa Porter - Folie

Petite pièce ambiente, tranquille, douce. Où on relève quelques caractéristiques qui seront de rigueur pour tout le reste : Vanessa Porter joue tout sans partition, et sur des sets de percussions assez minimalistes. L'accompagnement par les sons de Daniel Mudrack fait partie ici de la pièce, et était déjà amorcé par une sorte de drone ambiant pour l'entrée des spectateurs dans la salle. Par la suite, il établira des ponts d'une pièce à l'autre, proches parfois de la musique concrète.

Emil Kuyumcuyan - Shapes

Pour vibraphones, à quatre maillets, des boucles aux rythmes troublés, comme une routine perturbée, avec des moments d'absences. L'interprétation de Vanessa Porter est très intense, concentrée et investie.

Vinko Globokar - ?Corporel

La pièce n'est pas dans l'album, et pour cause, c'est une performance physique, visuelle, théâtrale, autant que sonore - à la limite de la Tanztheater. Allongée sur le sol et se relevant peu à peu, elle se frappe les jambes, le torse, se griffe les bras comme pour s'expurger d'une présence parasitaire, se tapote le crane et balbutie des mots, comme une longue crise. Impressionnant.

David Lang - The Anvil Chorus

Le set est ici bricolé avec des objets divers, regroupés en "sons longs" et "sons brefs", certains frappés à la main et d'autres aux pieds. C'est du minimal réussi, captant l'attention sans fléchir, avec des process proliférants et entrant parfois en conflits.

Georges Asperghis - The Messenger, Corps à corps

Il y a du texte : dans" The messenger", cela parle "de manière récurrente de silence, et de notre regard qui se détourne de la crise des migrants" ; dans "Corps à corps", des syllabes au départ inventées forment peu à peu un discours discernable (en français : "avant 10 heure, ils étaient déjà tous autour du cadavre"). Je suis surtout fasciné par son jeu au zarb, qui parle tout autant qu'elle, et par la puissance charismatique de son jeu physique, comme voulant intensément raconter une histoire, mais bloquée, empêchée, et utilisant son instrument pour que ça sorte enfin.

Entre les deux, Daniel Mudrack se met à la batterie, et y reprend des éléments de langage rythmique développés par Asperghis pour ces deux pièces.

Alexander Sandi Kuhn - A Deux

Après toutes ces émotions, une petite pièce au vibraphone, plus lente et plus mélodique, pour revenir à un état plus zen.

folie à deux

mardi 7 mars 2023

Pierre-Laurent Aimard- Etudes pour piano de Ligeti (Cité de la Musique - 5 Mars 2023)

Pierre-Laurent Aimard jouant les études de Ligeti, ça me ramène à un concert au Conservatoire d'Art Dramatique (en 1994, donc ?), qui figure en haute place dans mon panthéon personnel des concerts "j'y étais".

Ce soir, pas de nouvelle étude en création : tout a été dit. Mais comme alors, Aimard désobéit à l'ordre des numéros, et propose son propre parcours : 

- troisième livre : études 15, 18, 16, 17

- premier livre : études 2, 1, 3, 4, 5, 6

- deuxième livre : études 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

Ca tombe bien, le troisième livre me semble le plus faible, et c'est le deuxième qui me plait le plus. C'est aussi la première fois que je ressens comme de la redite : combien de fois avons-nous droit à une montée le long du clavier, dans des rythmes impossibles, qui vient se fracasser dans les notes les plus aiguës, avant de repartir de tout en bas ? Mais le principal reste le bonheur de retrouver les déplorations sinueuses de "Automne à Varsovie", les acrobaties de "L'escalier du diable", ou les déchirements glacés de "Cordes à vide", etc.

Aimard joue tout d'un bloc, avec à peine une pause bouteille d'eau entre chaque livre, et dans le silence recueilli et concentré d'une salle pleine. Explosion méritée d'applaudissements à la fin. Pas de bis.

aimard joue ligeti

Ailleurs : Bruno Serrou


Roberto Negro, Emile Parisien - Les Métanuits (Studio de la Philharmonie de Paris - 4 Mars 2023)

 Les Métanuits, c'est la transcription pour duo piano et saxophone des "Métamorphoses nocturnes", le premier quatuor à cordes de Ligeti. La création de ce programme a eu lieu au Triton, et les deux compères terminent une petite tournée, avant la sortie de l'album chez Act Music dans quelques semaines.

En plus du changement d'instruments, il y a aussi glissement dans le monde du Jazz, avec improvisations obligatoires. Et ça se sent dès les premières phrases, où en à peine quelques inflexions, on passe du texte original à l'univers musical personnel de Parisien. A partir de là, ça s’enchaîne, les moments de mystère et les passages furieux, avec les envolées vertigineuses du saxophone, les martellements circulaires du piano, des déferlements impressionnants de clusters et des apaisements au bord du silence.

La durée a plus que doublé, mais on en aurait bien repris un peu. Negro, qui se charge des discours, propose de s'attaquer en bis au deuxième quatuor de Ligeti, mais ne le fait pas, c'est bien dommage.

Bref, c'était très bien, et le disque va être passionnant pour étudier les décalages effectués.

On peut se préparer avec cette vidéo Emile Parisien & Roberto Negro - Les Métanuits.