Pierre-Laurent Aimard - L'Art de la fugue (Cité de la Musique - 29 Mars 2008)
Je pense que la dernière fois que j'ai vu Pierre-Laurent Aimard en solo, c'était lors de la création du deuxième livre des études pour piano de Ligeti, un des concerts les plus forts de ma vie de spectateur. Il s'était alors préalablement excusé de ne pas respecter l'ordre des études, pour des raisons techniques liées à la difficulté des pièces.
Mais ce soir non plus, l'ordre des contrapunctus et des canons n'est pas exactement régulier, alors que son disque récent chez DG semble respecter les enchainements habituels. Le concert suivra la progression suivante : Contrapunctus 1, 2, 3, 4, 6, 13.1, 7, 13.2, 5, 9, 10 ; entracte ; canons alla duodecima, alla ottava, alla decima, per augmentationem, contrapuunctus 14, 12.1, 8, 12.2, 11.
Je ne connais qu'à peine l'Art de la fugue (un CD multi-instrumental peu convaincant m'en a tenu éloigné), je ne sais donc pas trop ce que ce changement induit. Si les premières pièces me marquent par leur caractère propre et distinctif (le 1 monumental, le 3 comme une prière, le 4 quasi jazz), c'est bientôt l'impression d'ensemble qui m'emporte, chaque contrepoint présentant une facette, avec sa couleur, sa densité, sa vitesse, mais s'assemblant dans un vaste courant tourbillonnant.
Après l'entracte, les canons semblent plus austères, plus abstraits, plus difficiles aussi, et très différents les uns des autres (le "duodecima" vertigineux de vitesse, le "augmentationem" comme un dialogue confrontation débat philosophique). C'est par moments la joie intense et sereine de la foi qui déborde, à d'autres un dénuement désespéré devant la condition humaine.
La fameuse page finale (dernière page écrite par Johann-Sebastian Bach avant de devenir aveugle, finissant par sa signature musicale B A C H), intervenant ici en pleine seconde partie et non en conclusion du cycle, sonne juste comme un ralentissement au terme d'une progression élévation impressionnante, comme un simple incident de parcours, le franchissement presque anodin d'un "peu profond ruisseau".
Vers la fin, Aimard reprend une technique de jeu utilisée dans le 1, une articulation très, trop, prononcée, comme soulignant à l'excès chaque syllabe. Sinon, sa maitrise des dynamiques est fantastique, qui lui permet de mettre en avant une ligne par rapport à l'entrelacs des autres, de souligner les nouvelles entrées, ou sur un plan plus général, de donner comme un vaste rythme de vague à l'ensemble, musique soulevée par la houle.
Bref, un concert mémorable, sans bis, dommage.