En ces temps où accéder à l'Opéra Bastille devient de plus en plus difficile, assister à un cycle de l'Anneau des Nibelungen dans le confort et les prix de la Cité, en un week-end, voilà une excitante idée ! Pour se faire, il fallait quelque peu raboter les pièces, en réduire l'ampleur instrumentale et la durée, et opter pour une mise en scène moins encombrante qu'habituellement. Mais ces accommodements préservent-ils la magie et la puissance des opéras wagnériens ? En bonne partie, oui, même si tout n'est pas parfait. Disons que c'est un excellent "proof of concept" ...
La musique a donc été réduite à un orchestre de chambre de 19 musiciens (et non 18 comme écrit partout : le Remix Ensemble aurait-il ajouté un musicien spécialement pour la Cité ?), et il s'agit malheureusement bien d'une réduction et non d'une transcription : c'est la plupart du temps bien réalisé et efficace, on profite bien des thèmes, la réussite de certaines plages est même surprenante, comme l'introduction de l'Or du Rhin, mais c'est un travail scolaire, qui manque de génie et d'audace dans les alliages de timbres : Jonathan Dove n'est sans doute pas très féru de musique spectrale, et c'est dommage. De plus, la composition de cet orchestre n'est pas très équilibrée, qui privilégie très fortement les cuivres aux cordes, dont il ne reste qu'un quatuor et une contrebasse. C'est joli quand ils jouent effectivement en quatuor, ça l'est moins quand ils doivent lutter contre force cors et trombones ... Et un problème récurrent sera la harpe, qui quand on l'entend sonne la plupart du temps comme extérieure à la texture générale, avec des notes trop cinquantes ou trop sèches, je ne sais trop, mais qui réussissent à me gâcher le réveil de Brünnhilde.
Pour réduire la durée, il faut couper. Cela ne va pas sans heurts, on a tous quelques airs, quelques épisodes, ou même quelques personnages, qui ont disparu au montage. C'est dans le Crépuscule des Dieux que l'opération ressemble le plus à du charcutage : ayant décidé de se passer de choeur, ce qui se comprend dans l'optique mini-Ring, les scènes où il intervient sont soit brusquement coupées et du coup peu compréhensible, comme l'appel au peuple de Hagen, soit disparaissent totalement, comme Siegfried racontant sa vie après avoir bu la coupe lui redonnant la mémoire, enchanteur enchaînement de thèmes, ici cruellement absent.
Le décor est unique pour toute la Tétralogie : deux plans inclinés, séparés par un espace vide où on peut se glisser. Pour Siegfried, une cabane sera installée sous l'un des plans. L'espace autour sera parfois utilisé, par exemple en y installant des chaises hautes où se juchent Siegfried et Brünnhilde, qui échangent serments et anneau tout en étant séparés de quelques dizaines de mètres (c'est l'une des plus mauvaises idées de cette mise en scène).
Au-dessus, un écran permet d'afficher de la vidéo. C'est la plupart du temps moche, et souvent inutile. Parfois illustrative, comme les flammes au-dessus de la forge, parfois joliment évocatrice, comme ces gerbes scintillantes pour l'arrivée du printemps, ou symboliste, comme ces deux colonnes grises derrière les géants pour accentuer leur taille, ou parfois abstraite et peu claire, comme la figuration du Walhalla, cette vidéo est terne, pixellisée, elle fait vieillotte.
La mise en scène essaie avant tout de raconter l'histoire de façon bien compréhensible, sans chercher à y apporter un point de vue particulier. Si les moments qui emportent vraiment sont rares (j'y mettrais la mort du dragon Fafner, avec un drap gonflé, simple et beau, et le combat Hunding - Siegmund, violent et bien clair), les fautes le sont également (en plus des amants sur tabourets déjà indiqués, j'y mettrais la marche des Walkyries qui arpentent ridiculement les plans de bas en haut et de haut en bas).
La distribution vocale offre des niveaux et des types de voix très divers. Pour réduire là encore, certains prennent plusieurs "petits" rôles. Etrangement, ils ne font pas forcément la même impression d'un personnage à l'autre. J'apprécie par exemple Fabrice Dalis en Loge, très souple, mais beaucoup moins en Mime, pas assez fourbe. Ou Johannes Schmidt, un Fafner correct sans plus, sera un excellent Hagen.
Les plus grandes performances seront celles de Lionel Peintre en Alberich, au timbre comme rugueux, créature de souffrance ; Ivan Ludlow en Wotan (meilleur qu'en Wanderer), qui brille par une grande subtilité tant qu'il n'a pas à forcer le volume ; et puis surtout Cécile de Boever, une Brünnhilde impériale de puissance naturelle, quitte à écraser ses partenaires, de Jef Martin, Siegfried sans grand éclat, à Donatienne Michel-Dansac, Gudrune totalement falote.
Dans ce cycle, ce sera la Walkyrie qui sera le plus intense en émotions, depuis Wotan terrassé par les arguties de sa femme (Nora Petrocenko), à la punition de Brünnhilde, qui chante et pleure en même temps, en passant par la passion de Sieglinde (Jihye Son). Dans Siegfried, les voix peu satisfaisantes de Siegfried et de Mime plombent la représentation, et Le Crépuscule des Dieux souffre de coupes trop brutales.
Mais l'immersion en un week-end dans cette musique reste une grande joie, j'en ressors avec plein de thèmes qui ne veulent plus quitter ma tête, et me poussent vers la réécoute des disques.
ArteLiveWeb a enregistré le cycle au Festival de Strasbourg.
Ailleurs: Joël, MusicaSola, Paris-Broadway, Palpatine ...
Spotify: Version Böhm Bayreuth 1967, Boulez Bayreuth 1976, ou Karajan Berliner 1967-70 ?