Luigi Nono - Prometeo (Philharmonie de Paris - 7 Décembre 2015)
Certaines des partitions tardives de Nono m'ont fait appréhender cette période, en particulier les "carminar" qui me semblent se perdre, ou du moins me perdre, en chemin. Ce "Prometeo" fait clairement exception, et offre une rare expérience, qui par ses dimensions, ses exigences, peut ressembler à une épreuve, dans tous les sens du terme.
Dès l'entrée dans la salle de la Philharmonie, le dispositif frappe. Les musiciens de l'Orchestre symphonique du SWR Baden-Baden et Freiburg, complétés par les solistes de l'ensemble recherche, et les choristes de la Schola Heidelberg, complétés par une petite dizaine de solistes et récitants, sont éparpillés sur plusieurs petites scènes tout en bas, et de nombreux îlots dans les gradins. Il y a deux chefs d'orchestre, Ingo Metzmacher et Matilda Hofman. Et à tout ce beau monde s'ajoute encore un vaste dispositif électroacoustique, géré par l'Experimentalstudio de la Radio SWR.
Pourtant, rares sont les moments où la puissance sonore s'impose. On est entourés de sons fuyants, de climats évanescents, de tensions furtives, où ce qu'on perçoit n'est jamais bien défini, est-ce un instrument ou de l'électronique, une chanteuse ou un écho, d'où vient cela, d'en haut ou d'en bas. Le livret donne une division de l'oeuvre en épisodes successifs, mais comme leur longueur, inégale, n'est pas indiquée, il ne permet de se situer que vaguement. On flotte, du coup, dans un océan infini de sensations sonores, qui au départ me semble une grotte, pour finir sous les étoiles. Entre les deux, deux heures et quart passent. Le public, saisi, cesse au bout d'un moment de tousser, mais bientôt se met à fuir, non agressivement comme au Théâtre de la Ville, mais par capitulation désolée, en petits groupes tentant de trouver les portes où se glisser le plus discrètement possible.
Dans cette vaste fresque, il y a des plages d'ennui, où l'oreille n'accroche pas à grand-chose, et puis soudain des moments de cristallisation, où l'alliance de quelques voix solistes et quelques instruments les soutenant en désaccord, où une déflagration orchestrale que l'électronique emporte, ouvre une porte vers l'extase, une possibilité de transcendance, une expérience mystique.
Ces moments sont fragiles, liés à la partition, mais aussi à l'attention des interprètes qui doivent énormément s'écouter pour se régler les uns sur les autres (les accords sont parfois en tempérament, et parfois purs), et aussi aux auditeurs, qui en fonction de leur aptitude à la concentration et au lâcher-prise simultanés peuvent ou non s'envoler dans la musique. Expérience qui ne peut vraiment se ressentir que dans la salle, au milieu du tournoiement des sons. La diffusion par France Musique, en son 3D binaural ou en 5.1, n'est qu'un pis-aller, aussi magnifique soit-elle.
Une autre composante est donc le lieu. En ce sens, c'est pour moi la véritable épreuve du feu pour la Grande Salle de la Philharmonie de Paris, et elle la passe avec un grand succès (même si l'effet de loupe sur les tousseurs est toujours aussi gênant). La spatialisation me semble plus subtile, et plus extraordinairement réussie, que pour Répons en septembre.
Spotify : Claudio Abbado / Prometheus - The Myth in Music
Ailleurs : Carnets sur Sol, Michèle Tosi
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