mercredi 1 novembre 2023

Nederlands Dans Theater – Tao Ye / Sharon Eyal & Gai Behar (Théâtre de la Ville - 21 Octobre 2023)

 Tao Ye - 15

15 danseurs et danseuses forment un triangle sur scène, et répètent une même phrase chorégraphique très énergique, avec frappes de corps et cris, tous synchrones, tous habillés pareil, les individualités presque complètement gommées (même si la position fixe des interprètes dans le triangle crée de facto une hiérarchie, avec un meneur en pointe et ceux du fond quasi invisibles depuis ma position dans le bas de la salle).

La musique adopte exactement la même démarche que la danse, elle évolue lentement, gardant son caractère de transe, et impulse ou suit les modifications chorégraphiques : passage au sol, puis de nouveau debout, performance physique remarquable de toute la troupe. Le plus grand changement a lieu vers la fin, où les interprètes glissent le long des cotés du triangle, brisant ainsi la hiérarchie évoquée précédemment.

C'est plus impressionnant qu'émouvant, cela dit. Une démonstration de force, mais qui porterait quel discours ?

Nederlands Dans Theater – Tao Ye / 15

Sharon Eyal & Gai Behar - Jakie

La scène est tout aussi vide que précédemment, mais il y a un jeu sur les lumières plus complexe et subtil, avec du brouillard qui crée des premiers et des arrières plans. On a toujours une troupe, là aussi tous habillés pareils, mais il y a toujours des exceptions, des solistes détachés, et une exacerbation des différences de morphologie : ainsi au départ, on semble voir un géant parmi des lutins. 

Les scènes sont presque oniriques, quoique très physiques et exigeantes, il y a plus de poésie, de mystère, de tensions dramatiques. Je retrouve par moments des sensations forsythiennes de mouvements paradoxaux issus du corps de façon inattendue. Il se pourrait qu'une histoire soit racontée, que je n'ai pas comprise - mais qui m'a happé quand même.

Nederlands Dans Theater – Sharon Eyal & Gai Behar / Jakie

Ailleurs : Jean-Frédéric Saumont


dimanche 29 octobre 2023

Xavier Le Roy - Le Sacre du printemps, Trio et Solo (Théâtre des Abbesses - 15 Octobre 2023)

L'idée de départ est génialement simple : un chef d'orchestre communique par les mouvements de son corps avec son orchestre pour lui donner des indications de jeu mais aussi des sentiments, des ressentis, des sensations ; donc c'est de la danse. Pour mettre cet aspect en avant, prendre la partition archétypale et si souvent chorégraphiée du Sacre du printemps de Stravinski est un excellent choix, qui offre tant de rythmes et tant de détails que l'interprète peut aller chercher d'un geste de la main, imiter d'un glissement de bras ou d'une torsion de tout le corps.

Xavier Le Roy - Le Sacre du printemps, Trio

J'ai commencé par la version en trio, où les interprètes passent à tour de rôle, démarrant puis arrêtant la bande d'un geste bien marqué, avant de laisser la place au suivant. Il y a des recouvrements, certains passages sont joués deux fois, par deux personnes différentes. Si bien que cela ressemble à un concours d'orchestre, et comme là, chacun à son style, plus ou moins fluide ou heurté, doux ou dynamique, agressif ou retenu (ma préférée, c'est Scarlet Yu). Cela ensuite se complique, avec plusieurs chefs sur scène en même temps, et une bataille pour la place centrale à la fin. Bref, une grande idée au départ, et une excellente déclinaison le long de la presque heure, c'est parfait.

Xavier Le Roy - Le Sacre du printemps, Solo

Pour la version en solo, lui aussi commence dos aux spectateurs, comme si l'orchestre imaginé était sur la scène (vide), pour se retourner au bout de quelques minutes, nous plaçant nous spectateurs à la place des musiciens. Le début est un peu désordonné, comme si le chef était en retard sur la musique. Je pensais à un fait exprès, peut-être une réflexion sur l'age, mais Xavier Le Roy s'excusera pendant les applaudissements : il a cru voir dans le public une personne essayant de sortir de la salle et n'y parvenant pas, et cela l'a durablement désarçonné. Mais il se reprend vite, et lui bien sur joue toute la partition, sans manques et sans reprises. On se rend compte alors qu'il y a myriades de détails qu'aucun du trio ne reprenait, qu'ils remplaçaient par des répétitions. C'est plus impressionnant, mais les différences entre les membres du trio ajoutaient une intéressante profondeur.


vendredi 20 octobre 2023

Gérard Grisey - Les Espaces acoustiques (Philharmonie de Paris - 13 Octobre 2023)

On commence par Odile Auboin en solo, puis c'est L'EIC dirigé par Pierre Bleuse, et enfin arrivent les élèves du CNSMDP : ça devient un classique. Que dire de neuf ? Qu'en fin de semaine, la tendance de cette musique à me faire très agréablement somnoler est accentuée. Que le coté organique est très présent, entre les rythmes en battement de cœur et les grandes respirations orchestrales qui nous plongent parfois en apnée. Que parfois, on plonge carrément dans le bruit, aussi. Que Bleuse aime la mise en scène, ici dans le prologue où Aubion est isolée dans les hauteurs. Que cette oeuvre laboratoire prend parfois un peu trop son temps, dans des gestes qui maintenant qu'ils ne surprennent plus pourraient être resserrés - une oeuvre de son temps, quoi, qui marque brillamment une époque mais ne la transcende pas.

les espaces acoustiques

Ailleurs : Vincent Guillemin, Pierre Rigaudière ...


jeudi 19 octobre 2023

Birds on a Wire - Le Chant des oiseaux (Philharmonie de Paris - 30 Septembre 223)

Dès l'introduction du concert, les deux dames de Birds on a Wire interpellent le public et le somment de réagir comme si on était dans une petite salle, ce qui n'est pas le cas de la Philharmonie, et privilégient l'intimité, même quand le dispositif scénique se veut plus imposant.

Il faut dire qu'au départ, ce duo excelle dans la petite forme. Rosemary Standley nous fait voyager de sa voix colorée et multiple, d'une langue à l'autre, d'un continent à l'autre ; Dom La Nena l'accompagne au violoncelle, avec une technique de boucles à la pédale si confondante de naturel qu'on ne s'étonne jamais d'entendre à la fois de l'archet, des pizzicati, et des frappes rythmiques, alors qu'elle n'a, ça alors, que deux mains.

birds on a wire - le chant des oiseaux

Mais pour ce concert anniversaire de leur 10 ans ensemble, elles ont vu un peu plus grand, et ont invité la Maîtrise de Radio-France a participé à plusieurs titres. Ces arrangements sont un peu trop simples à mon goût, et les effets de mise en scène restent également assez rudimentaires (mais bon, ce n'est que la Maîtrise, et non le Chœur, on ne peut pas en demander autant ...).

Heureusement, la magie opère, entre bossa brésilienne, cantilène baroque, ritournelle enfantine, folk irlandais, l'atmosphère recueillie apportée par les choristes se teinte de plus en plus de légèreté et d'allégresse, le dialogue s'installe comme il peut avec un public pourtant souvent trop distant, et le plaisir s'installe durablement. Très agréable soirée.

birds on a wire - le chant des oiseaux

Spotify : tout autant que leur oeuvre commune, j'aime aussi leurs productions séparées.

Birds on a Wire - Ramages, Rosemary Stanley, Ensemble Contraste - Schubert in Love, Dom La Nena - Leon

dimanche 8 octobre 2023

EIC - James Dillon, In Between Mnemosyne (Cité de la Musique - 14 Septembre 2023)

Pour son concert de rentrée et l'inauguration de son mandat, le nouveau chef Pierre Bleuse a choisi un programme mono-oeuvre, en la pièce "Polyptych: Mnemosyne... Acts of Memory and Mourning" de James Dillon, de plus d'une heure, pour une trentaine de musiciens, et choisit de la mettre en scène, en installant l'EIC au milieu de la salle de concert, et la plupart des musiciens (exception pour les pianos et les percussions) sur un support tournant, qui fera un tour complet au long de l'exécution (ce qui une fois le principe compris permet de savoir rapidement où on en est sans regarder sa montre).

Mais l'essentiel est bien sur dans cette musique, composée de cinq actes, chacun divisés en deux ou trois parties. Mais il n'y a pas vraiment de ruptures de ton. Tout du long une musique qui refuse le spectaculaire ou l'éclat, au profit d'une profonde intériorité aux lumières changeantes, un long voyage recueilli et captivant, une musique de chambre à l'intimité élargie.

C'est à la fois personnel (le décès de sa mère juste avant l'invasion de l'Ukraine) et accessible (comme la musique de Dillon en général, alors qu'il est proche de la New Complexity, on est très loin de Brian Ferneyhough !).

Commencer cette année de retour en salle de concert par une oeuvre qu'il me tarde de pouvoir réécouter et approfondir au disque, c'est de bonne augure ...

 eic - in between mnemosyne

Ailleurs : Alain Cochard, Jérémie Bigorie, Patrick Jézéquel ...

mardi 26 septembre 2023

Paceo, Karapetian x Carrington (Cité de la Musique - 8 Septembre 2023)

Je n'ai pas assisté à la première partie, aux horaires incompatibles avec les miens. De plus, pour l'instant, des concerts de deux heures me suffisent amplement, je ne veux pas risquer l'overdose.

Anne Paceo - S.H.A.M.A.N.E.S

anne paceo - s.h.a.m.a.n.e.s

C'est entourée de complices habituels qu'elle avait enregistré l'album S.H.A.M.A.N.E.S, et on les retrouve aussi ce soir, à l'exception de Marion Rampal, remplacée par Cynthia Abraham. Si Tony Paeleman n'est pas dans un bon soir, le guitariste Pierre Perchaud nous gratifie de quelques excellents solos, mais c'est Christophe Panzani au saxophone qui assure brillamment l'essentiel de la matière instrumentale. 

Tout l'album y passe, bien sur, dans le désordre, ce qui me permet de bien repérer mes morceaux préférés, quand l'intro me donne des frissons : "Wide Awake", "Piel", et surtout "Wishes", où tout le monde passe aux percus, pour seconder la frappe tellurique de Paceo. La fin de concert, sur "Dive into the unknown", est absolument charmante, avec le public qui participe d'un "ohmmm" plutôt constant et réussi, et où on se délecte des voix enchevêtrées d'Isabel Sörling, Cynthia Abraham, et Anne Paceo.

Donc, merci madame Paceo, pour ce concert (elle s'étonne des rires du public quand elle commence ses discours pour un "merci" : c'est que c'est nous qui devrions le leur dire, et non l'inverse !).

anne paceo - s.h.a.m.a.n.e.s

Yessaï & Marc Karapetian x Terri Lyne Carrington

Yessaï & Marc Karapetian x Terri Lyne Carrington

Je ne connais aucun de ces protagonistes, et c'est une belle découverte. Yessaï Karapetian aux claviers, Marc Karapetian à la basse électrique, et Terri Lyne Carrington à la batterie, improvisent ensemble une musique entre Jazz et post-Rock façon Godspeed, une matière dense et épaisse mais vibrante d'énergie et pulsante de lumières sombres. Des morceaux longs, des idées simples, beaucoup d'écoute, pour un résultat organique, qui saisit et nous transporte. C'est puissant.


Yessaï & Marc Karapetian x Terri Lyne Carrington

lundi 25 septembre 2023

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce (Grande Halle de la Villette - 31 Août 2023)

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce

"Hymne au soleil" est un album solaire, moelleux, et confortable, et ce concert poursuit dans la même veine, le bonheur d'une fusion réussie entre lounge, funk, jazz ...

Ce sont presque les mêmes musiciens sur scène qu'en studio : à la batterie, Philippe Gleizes, beaucoup plus économe que dans Band of Dogs par exemple, surtout qu'il est accompagné de Fabe Beaurel Bambi aux percussions ; à la basse, Sylvain Daniel, et à l'orgue Arnaud Roulin (qui était déjà, comme Philippe Gleizes, aux cotés de Laurent Bardainne il y a 15 ans ...).

Mais le maître essentiel de cette formation, c'est Laurent Bardainne, qui lance les mélodies, puis s'envole dans des explorations douces ou énergiques mais toujours captivantes. Il en est tout essoufflé quand il essaie de parler au public !

Enfin, pour compléter, il y a deux choristes, Laetitia Ndiaye et Sarah Charles, mais de la salle on ne les entend quasiment pas ! (sur la vidéo du concert,il n'y a pas ce souci). Cela ne sera réparé qu'au début de "Oiseau", on a du coup pu bénéficier de leurs "Oh Yeah", ouf !

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce + Jeanne Added

Musique très agréable, mais qui peut lasser au bout d'un moment. Bardainne rompt opportunément la monotonie par des invités, et en premier, Jeanne Added ! Mais si elle souffre moins que les choristes (mais quand même un peu) du problème de balance, c'est sans doute le choix de la reprise, "I Love You" de Billie Eilish, qui ne m'emballe pas (je préfère fortement les "I Love You" de Added elle-même dans "Lydia" ...). Autrement plus intéressante est un peu plus tard la reprise (à la demande de Added, précise Bardainne) d'une chanson de Poni Hoax, "Everything Is Real", pour laquelle l'orchestre change profondément de son (facile quand on a des talents de cet acabit sur scène !).

Et cet impeccable voyage se termine par "Oiseau", avec Bertrand Belin, et Jeanne Added en choriste de luxe, et c'est parfait.

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce + Jeanne Added, Bertrand Belin


Ailleurs : le concert en vidéo

Ce n'était que la première partie du concert du soir, mais je n'ai assisté qu'au début de la deuxième partie, où Mulatu Astatké, entouré d'un excellent petit big band, joue une musique que je ne connais pas du tout, et la ponctue de solos qui me semblent interminables. Je préfère finalement m'arrêter là.