dimanche 27 septembre 2015

Robert Lepage - 887 (Théâtre de la Ville - 16 Septembre 2015)

Robert Lepage arrive sur scène presque incognito, demandant d'éteindre nos portables, ces compléments de nos mémoires où s'engrangent numéros, coordonnées, plannings, et souvenirs. Et de fil en aiguille, il en vient à nous raconter son enfance, dans l'immeuble portant numéro 887, à Québec, dont surgit une maquette vite illuminée de vidéos pour illustrer les vies de chaque appartement. Humour et émotion, intelligence du propos, magie des dispositifs théâtraux, le spectacle est exceptionnel.
Il nous parle de lui, élève brillant, de son père, chauffeur de taxi inculte et humble, du Québec des années 70, qui se découvre des volontés d'émancipation, le tout raconté dans le désordre, un noël chez un oncle riche, la visite du général De Gaulle, les disputes dans l'appartement d'à coté, le personnel et l'historique s’entremêlent dans le flux des souvenirs.
Comme souvent chez Lepage, l'appareillage scénique est fabuleux.La maquette de l'immeuble se plie et se déplie, un smartphone en filme les mini décors merveilleux projetés sur grand écran, la voiture du père absent de par son travail traverse la scène, travail de précision qui ravit, et qui fait sens (le passage de De Gaulle, à vitesse ressentie puis à vitesse réelle).
Au passage, Lepage ne se donne pas que le beau rôle : il traite le journaliste déchu qui l'aide à mémoriser "Speak White" avec un violent manque d'humanisme, épisodes férocement drôles. Parfois, il en fait un peu trop, par exemple le parallèle entre cerveau droit / cerveau gauche, et les deux appartements, ne débouche sur rien. Mais généralement, tout est d'une maîtrise admirable ; même l'utilisation de "Bang bang" de Nancy Sinatra, si souvent entendue et utilisée, limite cliché, fait sens quand il en diffuse plus tard la version francisée par Claire Lepage, signe d'une bâtardisation culturelle.
Tout le spectacle s'articule autour d'un poème, "Speak White", qu'on lui a demandé de réciter lors d'une remémoration de la Nuit de la Poésie en 1970 où l'auteure Michèle Lalonde l'avait récité avec un énorme retentissement présent et futur, et qu'il ne parvient pas à mémoriser. Il en donne, en fin de spectacle, une interprétation à la hauteur de son modèle, utilisant d'ailleurs à peu près les mêmes modalités, ironie, colère, montée en puissance. Moment intense qui me coupe le souffle.

887

Ailleurs : Paris-Broadway, Palpatine, La sourisArmelle Héliot, Fabienne Pascaud ...
La récitation de "Speak White" par Michèle Lalonde en 1970 est disponible sur Youtube.

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