dimanche 3 novembre 2024

Pierre-Laurent Aimard - Les maîtres de l'intime (Cité de la Musique - 13 Octobre 2024)

Qui sont ces "maîtres de l'intime" ? Essentiellement, Kurtag (dans ses "Jeux") et Schubert (des "Valses", des "Danses" ...), et pour agrémenter, un peu de Mozart, de Webern, de Schoenberg ... Le tout monté dans un récital d'un peu plus d'une heure, sans interruption. Pour ne pas lasser, Aimard alterne entre plusieurs pianos, queue, quart-de-queue, debout, disséminés sur scène ou dans la salle. Lors du passage de l'un à l'autre, de la musique continue de se faire entendre (en spatialisation).

Bon. C'est pas désagréable, cet alignement de petites pièces modestes, fragiles, un peu évanescentes. Mais ça ne laisse pas grand souvenir non plus. La mise en scène ajoute sa part d'arbitraire (pourquoi tel piano pour telle oeuvre ?) et de moderne un peu factice.

Mahler 5 - Originalklang (Philharmonie de Paris - 15 Septembre 2024)

En 2022 le chef Philip von Steinaecker se lance avec le Mahler Academy Orchestra dans un vaste projet consistant à retrouver la sonorité orchestrale connue par Gustav Mahler lors de la création de ses oeuvres. Un des aspects principaux est de retrouver les instruments d'époque, parfois même les véritables instruments commandés et achetés par Mahler chef d'orchestre. Puis de réinterpréter les indications laissées sur les partitions, en fonctions des jeux possibles sur ses instruments.

Pendant plus d'une demi-heure, Arnaud Merlin nous présente certains de ces instruments, avec explications complémentaires par le musicien qui l'utilise, et démonstration des différences, aux timbales, à la trompette, etc. C'est un peu long (certains intervenants sont très bavards ...) mais très intéressant. Les sonorités sont en général plus boisées et moins tranchantes, et se foncent plus facilement les unes dans les autres.

Plus vient la 5ème symphonie elle-même, dans ces nouveaux habits, moins rutilante, plus apaisée, toujours magnifique. Une seule écoute ne saurait suffire pour dépatouiller tous les changements, et si on préfère l'ancienne ou la nouvelle version. Mais la démarche est passionnante, le résultat plus que convainquant, et j'attends maintenant le disque.


lundi 12 août 2024

Sasha Waltz + EIC - In C (Philharmonie de Paris - 19 Juin 2024)

Le moment que j'ai préféré est sans doute la mise en place, avec les musiciens de l'EIC se mêlant temporairement aux danseurs avant de rejoindre leurs pupitres. Ensuite, les choses se déroulent de façon assez facile. Dans un coin de la scène, l'EIC joue donc "In C" de Terry Riley, enchaînant tout en souplesse les 53 cellules, mais sans en donner une lecture particulière ni ajouter quoi que ce soit, si bien que le résultat est assez plat et dévitalisé. Devant eux, les danseurs et danseuses enchaînent pareillement 53 phrases chorégraphiques, selon exactement le même principe : des boucles de mouvement, suffisamment simples pour être accessibles à tous, et chaque interprète devant passer de l'une à la suivante quand iel sent que cela est le plus opportun. Mais là aussi, le résultat est plutôt décevant, plus divertissant et décoratif que transcendant.sasha waltz + eic - in c

 

Ailleurs : , A voir et à danser

samedi 10 août 2024

Protest Songs (Cité de la Musique - 11 Juin 2024)

De dos, dans la pénombre, s'alignent quatre silhouettes : Jeanne Added, Camélia Jordana, L (Raphaële Lannadère) et Sandra Nkake. A cappella, elles enchaînent chansons de protestations bien connues, morceaux de leur propre répertoire, et textes récités. Le spectacle est bien huilé, mais reste bizarrement froid ; dans le contexte politique français particulier (entre deux tours d'élections législatives anticipées), il n'y a pas d'écho (sans doute parce que la portée des chansons retenues est d'une bien autre ampleur que nos petits problèmes locaux) ; et les tentatives de participation du public ne fonctionnent pas vraiment (le public ne connaît pas assez les paroles de "Here's To You", et la mélodie de "SOS Méditerranée" est trop compliquée). Le moment que je préfère est celui qui déroge au principe de la soirée : pour "A War is coming", Jeanne Added va chercher sa basse - version minimaliste, rageuse, puissante.


protest songs

dimanche 16 juin 2024

Elodie Sicard, Bertrand Chamayou - Cage 2 (Studio de la Philharmonie de Paris - 4 Juin 2024)

Pour jouer des pièces pour piano préparés de John Cage, dont les noms ne sont pas indiqués dans le livret (qui cite juste le cycle "Sonates et interludes), ce que trouve fort regrettable, il y a sur scène quatre pianos, entre lesquelles se déplacent Bertrand Chamayou, ainsi que la préparatrice Anna Paolina Hasslacher. 

Et au milieu, il y a Elodie Sicard qui danse. Cela tient parfois au mime (je mesure un objet, je le porte dans mes bras), ou à la pantomime (je suis une enfant), parfois c'est plus abstrait. Sur une pièce qui martèle un rythme proche du Sacre du Printemps, elle se cache derrière ses cheveux comme une évocation de Sadako. Bref, sa danse est assez variée.

Tout est enchaîné. Les applaudissements ne retentiront qu'à la fin du spectacle, et ils seront nourris. Je suis moins enthousiaste, gêné par les manques du livret, par les sonorités peu différentiables des différentes préparations pour piano (tout sonne comme des gamelans, plus ou moins ...), et par des chorégraphies qui essaient de répondre à a la musique, au lieu de vivre pleinement à coté et d'apporter du coup plus de relief, comme le faisait le complice de John Cage Merce Cunningham. Un peu déçu.

cage 2

Ballet de l'Opéra national du Rhin - Spectres (Théâtre de la Ville - 25 Mai 2024)

Lucinda Childs - Songs from before

De hauts panneaux verticaux et coulissants en verre zébré divisent la profondeur de la scène en couloirs successifs, où se croisent des hommes et des femmes qui traversent le plateau, et parfois engagent un pas de deux. A partir de là, tout est affaire de variations : présence, absence, transparence partielle et superposition des panneaux, nombre de couples sur la scène, intensité et durée des pas de deux ... Et c'est un petit bijou, un plaisir constamment renouvelé. Ca m'a fait penser aux "Beach Birds" de Cunningham : une liberté très contrôlée mais qui donne l'impression d'un déroulé très naturel, fascinant et relaxant. (De la musique de Max Richter et surtout des textes de Haruki Murakami récités par Robert Wyatt, je n'ai par contre gardé aucun souvenir).

lucinda childs - songs from before

Bruno Bouché - Bless-Ainsi soit-il

Deux hommes, figurant Jacob et l'Ange, s'enlacent et s'agrippent, s'accrochent et se combattent. Un pianiste présent sur scène joue du Bach, caution chic. Sauf que tout ça me semble assez cliché et me laisse bien indifférent. 

 bruno bouché - bless-ainsi soit-il

William Forsythe - Enemy in the Figure

Un chef d’œuvre qui reste un chef d’œuvre. La musique, le décor, la lumière, la scénographie, et la danse qui surgit, explose, se cache, rebondit, tout est magique, exaltant et mystérieux. J'en vois ce soir des emprunts, ici à un échauffement de gymnastes, là à une troupe de danse en répétition, et je lis ailleurs que certaines séquences sont en partie improvisées - peut-être parce que le niveau technique est tel qu'il faut rendre la partition accessible à des corps moins aiguisés. Tout est beau, polysémique et envoûtant ; cette corde qu'on agite sur le sol : ligne de vie, pulsion cardiaque, lien ? Je vois que chaque personnage a un nom (Betsy, Isabel, Thomas, Christopher ...) : faut-il trouver un sens à tout ça, une histoire, une signification derrière certains costumes particuliers ? Mais on est si vite happé, transporté, à scruter les ombres et savourer chaque mouvement, qu'un éventuel décodage devient impossible, et inutile.

william forsythe - enemy in the figure

Ailleurs : Delphine Goater, Agnès Izrine ...

jeudi 16 mai 2024

Jeanne Added - The Joni Mitchell Songbook (Philharmonie de Paris - 21 Aril 2024)

Sur la scène se déploie en arc de siècle la petite troupe d'accompagnateurs de luxe de cette soirée : le saxophoniste et arrangeur Vincent Lê Quang, le pianiste Bruno Ruder, la contrebassiste Sarah Murcia, le violoncelliste Vincent Courtois, et le guitariste Marc Ducret. Et au centre, Jeanne Added, dans une longue robe blanche qui malgré les apparences ne l’empêchera pas de sauter un peu partout quand l'envie lui prendra.

Ce qui me frappe d'abord, c'est l'humilité et le respect des reprises. On est loin des exercices de funambule de "Yes is a pleasant country" où le matériel de départ était découpé et remonté au gré des émotions. Ici, les musiciens, pourtant tous éminents improvisateurs facilement radicaux, sont d'abord au service des chansons, qui sont magnifiquement arrangées par Vincent Lê Quang, et livrées avec une sincérité totale par Jeanne Added, dont la voix reproduit avec maestria la fluidité virevoltante, libre et d'allure si naturelle, de Joni Mitchell. Contrebasse et violoncelle nous font oublier l'absence de batterie ou percussion, piano et guitare parfois s'amusent à déguiser de mystère les introductions, mais se restreignent à ne pas flamboyer outre mesure quand la mélodie vocale commence.

C'est là la limite de l'exercice : un peu plus de folie aurait peut-être été la bienvenue. On la sent poindre dans l'ultime chanson, un bouleversant "Both Sides Now", où les solos se font plus tranchants, et où la voix de Jeanne Added retrouve certains phrasés plus personnels.

Mais avant cela, "Free Man in Paris", "Woodstock", "River", tout est beau, au bord des larmes mais avec un grand sourire, un grand bonheur.

jeanne added - joni mitchell songbook 

Ailleurs : Maxim François, Damien