mercredi 23 octobre 2013

Sugimoto Bunraku - Sonezaki Shinjû (Théâtre de la Ville - 13 Octobre 2013)

En relisant le compte-rendu de mon premier spectacle de Bunraku il y a 7 ans, je m'aperçois que je pourrais en reprendre de larges extraits : normal, le rituel est le même, puisque c'est celui de cette forme d'art. Donc, à droite, les musiciens, joueurs de shamisen et récitants/chanteurs, à gauche d'autres musiciens en coulisses, percussionnistes essentiellement, et au milieu les marionnettes portées chacune par trois manipulateurs vêtus de noirs et cagoulés.
Cette fois, pas de pédagogie ; on suit, en quelques heures, une des histoires les plus célèbres et classiques du Bunraku : le double suicide à Sonezaki du pauvre clerc Tokubei, dupé par le méchant Kuheiji, et de la courtisane Ohatsu, qui préfère mourir avec lui que de le perdre.
Hiroshi Sugimoto met en scène l'intégralité du spectacle, y compris la scène d'ouverture, une litanie des lieux saints du pélerinage à la déesse Kannon, illustrée par une vidéo fort jolie, et précédée d'un solo de shamisen.
Les choses sérieuses commencent lors de l'explication du piège dans lequel tombe Tokubei, et de sa dispute avec Kuheiji. Cela fait bien du monde sur scène, avec trois manipulateurs par marionnette, quand il y a les personnages principaux, leurs compagnons, et des passants témoins !
La scène suivante est ma préférée, quand Tokubei rejoint Ohatsu dans sa maison de passe, où  elle le fait entrer en le camouflant sous sa robe ; survient Kuheiji et ses sbires, qui promet d'éliminer Tokubei et de se saisir de Ohatsu. Le dialogue muet entre les deux amants, en caresses de pieds et de mains, est à la fois émouvant et drolatique, et leur fuite, au milieu des autres endormis, offre le même mélange de dangers et de cocasseries.
La scène finale, le double suicide donc, m'a moins emporté, malgré les trois joueurs de shamisen et les trois récitants : pas de péripéties, juste un dialogue dramatique vers la résolution ultime.

bunraku - les musiciens
bunraku - les marionnettistes

mercredi 16 octobre 2013

Orféo, par-delà le Gange (Cité de la Musique - 5 Octobre 2013)

A la base de ce spectacle, il y a un étonnement devant les réactions d'Eurydice face à Orfeo,dans le livret de Monteverdi : "Je ne puis dire, Orfeo, ma joie face à ton bonheur". Françoise Lasserre imagine qu'elle peut venir d'une culture différente : et pourquoi pas l'Inde ? Et si le voyage en Enfer était une plongée dans cette Inde où elle serait retournée ? Et de monter cet Orfeo, où l'Inde vient s'immiscer dans la musique et sur la scène.
Les changements apportés à l'opéra sont clairement limités. La célèbre fanfare inaugurale est remplacée par de la danse Odissi, interprétée par Arushi Mudgal, qui mime la naissance du Gange, dans le style très chaloupé typique, avant d’accélérer le rythme. L'introduction de l'acte 3 est un intermède musical pour sarangi et shehnai. Mais le moment offrant le plus beau mélange entre la tradition baroque et la musique indienne est le final, d'une beauté envoûtante et triste : la berceuse de Tarquinio Merula, où la basse rejoint les bourdons harmoniques de la tanpura.
Les plus grands moments vocaux sont pour moi la présentation de la Musica par Claire Lefilliâtre, et le chant de Caronte par Hugo Oliveira. Scéniquement, ce seront l'entrée dans les Enfers, et la fin du pauvre héros déchiré par des Bacchantes revêtues de rouge. Et musicalement, la prestation de l'Akadêmia est un plaisir de bout en bout.

jeudi 10 octobre 2013

Courtois Courvoisier Perraud (Le Triton - 4 octobre 2013)

Après son inauguration spéciale, voici le premier concert normal donné dans la seconde salle du Triton. Je me mets à l'étage, premier rang, la vue est bonne, quoique gênée par les barres de sécurité. A l'occasion d'un passage de Sylvie Courvoisier en Europe, c'est Vincent Courtois qui a monté ce trio inédit, en y associant le batteur Edward Perraud.
J'adore toujours autant Sylvie Courvoisier, et son sens de l'équilibre et de la mesure. Elle utilise des gadgets pour augmenter le spectre sonore, mais sans que ce soit du piano préparé ; plutôt du piano augmenté, avec des bandes adhésives, des billes métalliques, des baguettes coincées entre les cordes. Elle se lance dans des cadences véloces et intrépides, mais sans donner dans le déluge d'énergie, et on sent que si on ralentissait le flux, on y trouverait des mélodies. Même dans les notes attaquées en piqué papillonnant dans le registre aigu, il y a des accords classiques.
Armé d'une impressionnante armada de pédales d'effet, Vincent Courtois peut faire basculer le son de son violoncelle vers le violon ou vers la contrebasse, selon les besoins, et alterne entre archet et mains nues, entre boucles rythmiques et cris déchirants.
Edward Perraud aussi augmente sa batterie, à l'aide de pas mal de percussions, où les petites cymbales et le registre aigu en général sont privilégiés, et même un peu d'électronique avec un drôle de dispositif placé en bouche.
Entre eux trois, le plus surprenant, ce sont les imitations, Perraud répondant à l'aigu du piano par ses petites cymbales, ou imitant les coups d'archet de Courtois en raclant une cymbale sur un tome. La première improvisation dure dans les 40 minutes, et passe d'un climat à un autre, d'une vitesse à une autre, d'un leader à un autre, avec une maestria, un naturel, absolument stupéfiant et réjouissant, sans qu'on voie jamais les coutures.
La deuxième improvisation est plus rêche, avec des arêtes plus vives et plus coupantes. Un court bis, où Courvoisier se lance dans des clusters plus brutaux, conclut ce formidable concert, un splendide baptême pour la salle.

courtois courvoisier perraud au tritoncourtois courvoisier perraud au tritoncourtois courvoisier perraud au triton
courtois courvoisier perraud au triton

dimanche 6 octobre 2013

Anuj Mishra - Shiva Ganga (Cité de la Musique - 1 Octobre 2013)

Danse classique kathak

Dans cette première partie, Anuj Mishra, danseur et chorégraphe, se consacre à la présentation des caractéristiques de la danse kathak, accompagné de trois danseuses. Ca dure une heure, et c'est assez éprouvant. La danse se réduit pour lui essentiellement à une figure : la pirouette. Lentement, rapidement, très rapidement, avec ou sans mouvements de bras, il tournoie. Et c'est à peu près tout. Le spectaculaire devient très rapidement répétitif, lassant, puis énervant. De plus, les danseuses, engoncées dans des tenues blanches qui semblent gêner leurs mouvements, sont parfois peu synchrones, et n'ajoutent pas grand-chose : elles aussi pirouettent, mais avec moins de vivacité, et sans grâce particulière. Le tout est fort peu narratif, les tableaux se succèdent et se ressemblent, et je ronge mon frein. Heureusement, la musique, menée par Arjun Mishra, père du danseur, est agréable à suivre.

Light painting

Et soudain, tout devient beaucoup plus intéressant. La chorégraphie présente des séquences de quelques minutes, où figure le danseur vedette seul ou accompagné d'une ou deux danseuses, séparées par des photos : un coup de flash fige les danseurs, puis la scène est plongée dans le noir, et Julien Breton aka Kaalam vient dessiner des figures autour d'eux à l'aide de néons de différentes formes et couleurs. Le résultat, qui est la superposition des danseurs et des mouvements des néons qui ont dessiné une calligraphie dans l'air autour d'eux, est projeté sur grand écran derrière eux. C'est spectaculaire, un peu magique, et vraiment beau.

shiva ganga

Qui plus est, la danse elle-même est grandement meilleure que pendant la première partie ! Est-ce la nécessité de la fractionner en courtes séquences ? En tous cas, elle est plus vive, plus variée, totalement abstraite, et plus nourrie d'influences modernes. Bref, j'aurais eu grand tort de partir à l'entracte, car là je me suis régalé, et j'aurais aimé que ce soit un brin plus long !

Ailleurs : une présentation du travail de préparation, avec les photographies résultantes en fin de vidéo :


mercredi 2 octobre 2013

Harvey - Zimmermann - Pintscher (Cité de la Musique - 27 Septembre 2013)

Johann Sebastian Bach / Anton Webern - Fuga Ricercata a 6 voci

Manière d'ouvrir le concert, la saison, et sa place toute neuve de directeur musical de l'EIC, par un grand écart temporel, Matthias Pintscher choisit la transcription par Webern de cette page de l'Offrande Musicale. Je n'aime guère cette traduction de la polyphonie en mélodies de timbres, je préfère Bach d'un coté, et Webern de l'autre.

Jonathan Harvey - Two Interludes and a Scene from an Opera

Curieux projet que cet opéra de Wagner sur Bouddha ! Curieux projet que cet opéra de Harvey sur l'opéra de Wagner sur Bouddha ! De la scène chantée en duo par Claire Booth et Gordon Gietz, je retiendrai surtout la Ballade de Prakriti, et oublierai le récitatif sans grand intérêt qui y conduit. Mais les interludes purement instrumentaux me plaisent plus, le premier évoquant d'un grand fracas la crise cardiaque frappant Wagner et le voyage de son âme à travers les "mille tonnerres" du ciel, le second plus apaisé mais plein de belles et mystérieuses percussions et autres épices indiennes.

Bernd Alois Zimmermann - Sonate pour violoncelle seul

Pierre Strauch n'a plus le violoncelle moderne très design qu'il affichait l'an dernier ; est-ce un abandon définitif ou est-ce pour cette pièce seulement, nous verrons ... Il défend cette sonate avec force et concentration, donnant à la succession de techniques de jeu, de timbres mêlés, une unité basée sur l'intensité de l'instant présent.

Matthias Pintscher - Bereshit

Dans cette monumentale pièce aux sonorités en constantes mutations, j'ai nagé un peu en aveugle, sans trouver grand repère, et en m'ennuyant un peu, du coup ; heureusement vers la fin vient l'illuminer un splendide solo de violon, mené de main de maître par Jeanne-Marie Conquer.

Ailleurs : Michèle Tosi